look in the eyes of a child •R.

Shaun arriva dans le Holland Park en trottinant. Sa mère l'avait reconduit jusqu'ici et lui avait proposé d'aller lancer des morceaux de pain aux canards de l'étang pendant qu'elle allait se choisir des lectures à la bibliothèque. Le jeune homme l'avait supplié de lui prendre quelques bandes-dessinées qu'elle lirait avec lui avant qu'il ne s'endorme, le soir. Elle avait eu un regard agacé, mais ça, Shaun ne le remarqua pas. Puis elle accepta, forcant un sourire qui aux yeux de son enfant, eu l'air parfaitement normal. Probablement parce qu'elle lui avait toujours sourit de cette façon. Après lui avoir rappelé de ne pas parler aux inconnus, de ne pas s'approcher trop de l'eau et de ne pas quitter le parc, sa mère entra dans la libraire portant le nom de Ken's et le laissa à lui-même. Shaun avait en main un sac rempli de tranches de pain qu'il allait bientôt découper en morceaux pour nourrir les animaux. Le jeune homme resta un moment debout, en plein milieu du petit sentier, jusqu'à ce que trois adolescents en bicyclette lui dise de dégager du passage. Shaun les dévisagea un moment, ne comprenant pas sur le coup ce qu'il faisait de mal, puis se tassa pour les laisser passer. Par la suite, l'étang apparu dans son champ de vision et il sourit avant de se mettre à courir vers celui-ci. Il y avait une femelle avec ses trois canaris. Shaun s'assit sur une petite roche et ouvrit son sac. Il prit la première tranche, la croûte du pain, et fut satisfait de comprendre que s'il l'utilisait aujourd'hui, il n'aurait pas à l manger demain matin. Shaun détestait les croûtes de pain. Tout le goût du pain blanc était gâché. Bref, il découpa un petit morceau de la nourriture et le lanca dans l'étang, près de la maman canard. Cette dernière avala le bout flottant tout rond. Le jeune homme termina toute la tranche, et allait en commencer une autre, quand la famille canard s'éloigna. Il baissa les yeux vers son sac encore plein et soupira. Il tourna la tête vers la droite pour regarder les autres visiteurs du parc et aperçu un écureuil sur le sol. Shaun se mit à rigoler en le regardant agir et eu l'idée de le nourrir. Il ouvrit son sac à nouveau et en sortit une miette de pain qu'il mit dans le creux de sa main. Il montra sa paume au petit animal et attendit. L'écureuil approcha, lentement mais sûrement, puis se mit à sentir la nourriture. Puis, sans prévenir, il mordit Shaun jusqu'au sang. Ce dernier poussa un cri de surprise et plaqua sa main contre lui, faisant une pression à l'aide de son autre main. « OUCH ! » Le jeune homme se leva d'un bond, terrifié par le sang qui s'échappait de sa cicatrice, et se mit à marcher vers la librairie. « Maman .. ? Maman !! Ma-... » Shaun avait la tête qui tournait. Il avait mal. Il ne comprenait pas. Alors il sanglota, puis se mit finalement à pleurer à chaudes larmes au beau milieu de l'espace vert.

Shaun, contrairement à cet homme qu’il n’avait pas encore rencontré à ce moment-là, n’aimait pas vraiment la solitude. Quand sa mère le laissait à lui-même comme aujourd’hui, il se sentait perdu et inutile. Il ne savait plus où se mettre, quelle était sa place dans le monde et qu’est-ce qu’il devait faire de son temps dont l’utilisation lui était libre. Évidemment, ces questionnements ne se présentaient pas de façon aussi intelligente et précise dans sa tête, mais ces réflexions se lisaient facilement dans ses yeux brillants. Brillants d’incertitude, de souffrance et d’innocence. Le jeune homme marchait donc, déambulant comme un fantôme qui veut être oublié. Mais tout le monde le dévisageait, parce qu’il pleurait, parce qu’il réclamait sa mère alors qu’il avait le visage et le corps d’un homme de vingt et un an, parce qu’il s’arrêtait en plein milieu du chemin en petites pierres, comme un chien errant qu’on aurait abandonné à son triste sort. Il se tenait la main plaquée contre sa poitrine, tachant ainsi son chandail blanc d’un rouge immaculé. Il ne réalisait pas que ce t-shirt, qui était son favori parmi sans garde-robe, serait fichu. Et sa mère le gronderait d’avoir gaspillé son argent pour une vilaine blessure causée par mégarde. Elle lui dirait qu’il était étourdi, inattentif, insouciant et immature. Il ne comprendrait pas tout à fait pourquoi sa mère hausserait le ton de cette façon alors qu’il s’était fait mal et qu’il réclamait son amour pour l’apaiser. Jamais Shaun n’aurait pensé qu’un petit animal aussi mignon qu’un écureuil soit capable de faire couler autant de sang. Lui s’imaginait que tous les animaux étaient comme des chats ou des chiens, mais dans des tailles, des grosseurs et des couleurs différentes. Qu’ils étaient tous câlins, gentils et doux. Il s’était visiblement trompé. Alors que sa main l’élançait, Shaun s’arrêta et tourna les yeux vers le petit animal qui courait toujours un peu partout dans le parc et le regarda. Il se demanda alors s’il avait fait quelque chose pour le mettre en colère de cette façon. Pourtant, loin de lui l’idée de lui faire quoi que ce soit. Tout ce qu’il avait désiré, c’était de lui donner à manger. Selon lui, c’était un geste très généreux. Lui était ravi quand sa mère lui achetait ou lui concoctait quelque chose à se mettre sous la dent. Peut-être que Monsieur l’Écureuil ne le voyait pas de cette façon. Alors Shaun bredouilla un léger « Je m’excuse monsieur l’écureuil … », bien que ce dernier fusse trop loin pour entendre quoi que ce soit. De toute façon, ce n’était pas comme s’il comprendrait le langage humain. C’était l’intention qui comptait, n’est-ce pas ? En tout cas, face à cette réaction étrange de la part d’un homme, beaucoup des gens aux alentours se mirent à rire, voyant bien qu’il parlait à un animal. Des jeunes le pointèrent du doigt, se chuchotant on-ne-sait-quoi dans l’oreille de l’autre, riant ensuite aux éclats. Shaun ne savait plus où se mettre, alors il recommença à marcher, pleurant de plus belle en appelant à nouveau sa maman. Bien sûr, elle devait être au supermarché d’en face, en train d’acheter les divers aliments qui serviraient à préparer le repas de ce soir. Ils recevaient la grande famille, et tout devait être parfait. Même Shaun. Il avait bien été averti par son père qu’il ne devait pas s’exciter et commencer à crier et dire n’importe quoi. Alors il se tiendrait silencieux, à rigoler quand ses parents le feraient, et à hocher la tête quand on lui poserait une question. Bref, alors qu’il essayait d’essuyer ses larmes mais qu’il mettait du sang dans son visage par la même occasion, un homme l’arrêta, le tenant par les épaules. Shaun eu un mouvement de recul, d’abord apeuré par ce geste emprisonnant, mais ce calmant en voyant que l’homme lui demandait ce qui n’allait pas. Le jeune homme n’entendit que la phrase prononcée, et pas le ton de voix sur laquelle elle fut dite. C’est pourquoi l’homme le mit tout de suite en confiance. Enfin quelqu’un qui l’aiderait. Il plongea donc son regard d’enfant dans celui de l’adulte en face de lui et murmura quelques paroles. « J’ai … j’ai mal … ça brûle. » Dit-il en sortant sa main de son t-shirt et montrant sa main à son interlocuteur. À la vue de cette petite morsure qu’on pourrait facilement confondre à une légère égratignure, l’homme haussa les sourcils et lâcha les épaules du jeune handicapé. Il sortit un mouchoir de sa poche et le tendit à Shaun. Ce dernier le prit et le pressa contre la plaie. Il lui dit d’arrêter de se mettre dans un état pareil. Le jeune homme leva des yeux qui implorent la pitié sur lui. « C’est pas moi qui me suis mis dans cet état, c’est lui ... » répondit-il sur un ton d’excuse en pointant ensuite un écureuil dans le parc. Ce n’était certes pas lui qui l’avait mordu, mais dans la tête de Shaun, tous les écureuils étaient le même.