If I catch you... [Sonnie]

C'est d'un pas assuré et précipité que Quinn traversait les rues de la capitale, le regard perçant, guidé droit devant elle. L'objectif qu'elle voulait atteindre n'était plus bien loin, et plus son corps s'approchait de la bibliothèque, plus sa respiration se faisait rapide et saccadée, plus ses pas s'accéléraient, plus son cœur battait la chamade. Elle se força à vider son esprit, à cesser de penser, à simplement marcher, marcher vite, courir parfois et respirer régulièrement. Mais elle n'avait qu'une hâte, arriver et relâcher cette pression qui commençait à être trop pour une seule personne. La blondinette croisa des visages connus plusieurs fois, qui ne tentèrent pas même de l'approcher. C'était un soulagement; Les gens la connaissait suffisamment pour savoir qu'un regard aussi noir nécessitait la tranquillité la plus totale, et il était difficile de faire plus sombre que l'expression de la jeune Russell à cet instant. Elle croisa un mendiant qui lui réclama une «petite pièce pour quelque chose à manger», et elle rouspéta si fort qu'il n'insista pas. Il y avait un temps pour la générosité, un autre pour la rage, la haine et la colère.

La vue de la bibliothèque la rassura; Elle avait la sensation de n'en plus finir avec ces rues étroites et ces larges avenues. La double porte imposante s'ouvrit avec fracas et dans un silence très modéré, alors que la blondinette fonçait droit devant un jeu homme aux épaules carrés, plongé dans une lecture dont elle se fichait éperdument. Elle se pencha vers lui, complètement désintéressée du monde extérieur, oubliant que ce lieu se devait d'être un peu de plus silencieux de la ville. La violence verbale est-elle à consommer avec modération? Il n'était précisé cela nul part, et si ça avait été le cas, l'Anglaise s'en fichait autant que tout le reste. Les adolescentes attentives à de stupides histoires à l'eau de rose, les pré-ado penchés sur des romans de guerre, les adultes passionnés par de la psychologie, les mères fascinées par des bouquins leur expliquant comment élever leurs enfants, les pères faussement intéressés par ces dernières sortes d'oeuvres... Quinn se contrefichait de tout cela, et dans un élan qui aurait pu étonner plus d'un - il est vrai qu'en apercevant une jeune et jolie blondinette au visage d'ange, ce genre de réaction est souvent peu envisagée- elle débita avec une vitesse fulgurante une suite de mots parfaitement articulés et aussi incensés qu' incompréhensibles, en dehors du contexte.

«Espèce de sale petit enfoiré stupide et pervers et complètement abruti! Tu m'entends bien, p'tit geek? Tu crois pas que j'en avais assez avec un? Kale me suffit bordel! Si je t'attrape crois-moi... Comment Graham le prendrait hein? Tu voulais mourir? C'est ta façon de te suicider? Me mettre enceinte pour que Graham nous tue tout les deux? Hein? Hein? J'ai envie de... Aaaaaargh! »

Et c'est à ce moment qu'un 'chut' agacé se fit entendre du fond du rayon 'science fiction'.

La journée avait commencé tranquillement. Un bon bain pour se réveiller, un passage à la boulangerie pour engloutir le cinquième muffin de la matinée, quelques cigarettes qui détendent et un tour à la bibliothèque pour feuilleter les derniers romans. C'est dans ces moments là, que Sonnie était un parfait petit geek à la vie ordonnée. Essayant de prendre un air détaché, penché sur sa BD, le silence bourdonnant à ses oreilles, il n'eut même pas le temps de se retourner quand une femme arriva devant lui, manquant de déchirer sa BD, de l'envoyer valser dans les rayons et de détruire, par l'occasion la bibliothèque principale en renversant les rayons comme des dominos. Débitant à une vitesse folle, il eut juste le temps de comprendre, ahuri et complétement gêné par la situation, "enceinte", "Graham nous tue" et un long "Aaargh" qui s'échappa du plus profond de la cage thoracique de Quinn. Les yeux écarquillés, le coeur se mettant à paniquer d'une nouvelle si choquante, il la prit par le bras, l'emmenant tout au fond de la bibliothèque. Pas la peine de s'humilier un peu plus qu'il ne l'était déjà. Lâchant son bras dans un recoin sombre, il prit sa tête entre ses mains et racla sa gorge.

« Qu'est ce qu't'racontes là ? Tu es enceinte ? De qui, de moi ? Merde, merde, merde. Hey, me reproches rien, me suis protégé, ma grande. Et de quoi, Graham ? J'ai pas envie de me suicider, moi. »

Manquant de s'évanouir, il fixa Quinn. Lui , père ? C'était une bonne blague. Il n'arrivait même pas à s'occuper de trois malheureux poissons rouges, qui agonisaient en ce moment même dans un aquarium ressemblant à un marécage. Elle était où la caméra caché, hein ?

C'était un fait indéniable: Quinn avait une capacité étonnante à monter sur ses grands chevaux en moins d'une minute, et s'il avait existé un record, elle aurait facilement vaincu tous les plus grands 'nerveux' de la Capitale. Il avait suffit d'une seconde. Une précaution. Un test. Positif. Eh merde. Prise de panique, elle avait fait mille fois le tour de sa salle de bain, des images bouleversantes se bousculant dans son esprit. Elle y voyait un autre petit garçon, étrangement, jouant avec Kale, elle le prenait dans ses bras et... Eh merde. Elle voyait Sonnie lui tenir la main. C'était atroce, inutile, des idées qu'il fallait à tout prix chasser de sa tête avant de complètement perdre les pédales. Elle avait réfléchit quelques minutes. Impossible de se calmer. La panique. L'angoisse. En une minute elle avait su que Sonnie serait à la bibliothèque, son petit côté crétin ressortant parfois. Et le temps de réflexion était terminé. Maintenant il fallait agir.

C'était trop de pression pour une seule personne, Quinn ressentait le besoin imminent de rejeter ça sur la faute de quelqu'un d'autre, de s'appuyer sur une épaule forte, peut-être de cirer de toutes ses forces sa colère. Parce que à cet instant précis, il n'y avait aucun 'heureux événement' qui tenait. Un enfant lui suffisait, et... EH MERDE. Graham la tuerait. Certes, il se permettait de coucher par-ci par là, prétextant l'ouverture de leur relation, mais elle ne se rappelait pas qu'il lui ait avoué être père. Et voilà qu'un élan de culpabilité la submergea. Elle l'aimait bien son Graham, malgré tout. Fallait-il vraiment que l'image qu'il avait d'elle se dégrade aussi rapidement?

Sonnie tira la jeune Russell par le bras, l'éloignant des regards étonnés et dérangés. Elle lut sur l'expression de son visage qu'il était mal à l'aise, peut-être autant qu'elle, bien que la colère prenait pour le moment le dessus. Elle le laissa parler. Sa tête lui tournait. Un nœud lui tordit l'estomac. Elle reprit son souffle, inspira profondément et passa sa mains dans ses cheveux emmêlés par le vent.

«Oui. Moi. Enceinte. De toi Sonnie, DE TOI. Et oui, toi et moi, mourir bientôt. Parce que Graham.»

Il s'était protégé. Merde, alors...

«J'crois que c'est moi. J'me suis occupée de Kale 24h/24 ces dernières semaines. J'ai du... »

Pause

«Eh merde, ma pilule »

Elle prit sa tête entre ses mains et soupira.

«J'suis enceinte, quoi. J'ai déjà un fils, et je suis enceinte. Encore. Et même pas de Graham. Enceinte... De toi. Tu comprends? »

Et ce mot qui commençait à lui donner le tournis...

Malheureusement pour Quinn, Sonnie avait été élevé par des parents catholiques. La simple idée qu'une femme puisse avorter, lui donnait envie de tuer tous les médecins des Etats Unis, que dis je, de la planète. La regardant, partageant son mal aise, elle avoua qu'elle avait oublié cette foutue pilule. N'empêche, une femme, c'était beaucoup plus compliqué qu'un homme. Il avait juste à planter la graine, pour que 9 mois plus tard, un être sorte de ce ventre si étroit. Si Sonnie n'avait pas tenté sa chance dans le droit il y a deux ans, il aurait bien fait des études de médecine. Tout ce truc des bébés, c'était totalement fascinant. Et même s'il risquait de devenir père à vingt cinq ans, et qu'il n'était pas prêt, il pourrait accueillir cet enfant comme n'importe qui le ferait. Hochant la tête, comprenant la situation, il se posa quelques questions. Lui, un bon père ? Lui, avoir la garde de leur fils/fille ? Lui gâter cet enfant comme il le fallait ? Il n'en savait fichtrement rien, et soupira grandement. Mais le poids resta toujours ancré à sa poitrine.

« Merde, double merde. On fait quoi, dis moi ? Tu veux le garder ? Même si cet enfant nous mènera à notre perte par rapport à Graham. »

Il ne savait pas comment, mais il arrivait à faire de l'ironie. Il croisa ses bras sur sa poitrine, tentant de réfléchir à la situation. Fuck, triple fuck. Quinn ne voulait peut être pas de cet enfant, et pourtant à chaque seconde, il s'attachait à cette idée. Cet enfant voulait dire un avenir, même s'il n'était qu'un accident.

Quoi? Garder l'enfant? Est-ce-que c'était vraiment envisageable?
La première véritable histoire d'amour de Quinn s'était déjà mal terminée, mais elle ne regrettait absolument pas la présence de son fils, Kale. Car si, aujourd'hui, il était le fruit de nombreuses querelles entre son père et elle, il avait avant tout été le résultat désiré d'un sublime mariage. Mais là, la situation était particulièrement différente. Sonnie et elle ne formait pas un couple, et n'avaient pas l'intention d'en former un, en particulier car la blondinette vivait déjà une relation avec quelqu'un d'autre, et d'autant plus que Sonnie avait craqué sur une jeune femme dont elle avait lu une lettre en secret, un jour. Et puis, que penserait cet enfant en apprenant, un beau jour, qu'il n'était qu'un accident? Que son père n'était même pas le petit ami de sa mère? Quelle image aurait-il de sa famille? Et puis, de quelle famille finalement? Graham avait donné la sensation à l'Anglaise d'en former une depuis le début de leur relation, tant il s'occupait de Kale, tant ils passaient tous les trois des journées ensemble à s'amuser, tant il le grondait comme un père lorsqu'il le fallait. Mais tout cela, c'était en partie parce qu'ils formaient un couple -particulier, certes, mais un couple tout de même. Trop de problèmes se posaient, et la réaction de Sonnie n'était pas celle à laquelle Quinn s'attendait.

«Hého, c'est moi qui le porte cet enfant. C'est pas toi qui va avoir la nausée pendant des mois et souffrir pendant des heures d'un deuxième accouchement. Ça ferait trop pour moi Sonnie.»

Elle pensait qu'en apprenant la nouvelle, il aurait hurlé, crié de colère. Elle pensait qu'en sachant qu'elle était la fautive, il l'aurait étranglé ou, au moins, profité de l'occasion pour rejeter la faute sur elle. Mais... Non, même pas. Il parlait de le garder. Il lui demandait ce qu'elle voulait faire. Non, ce qu'ils devaient faire. Comme si elle le savait, comme si il y avait une solution pour ne pas tuer un être minuscule, ne pas se faire tuer pas Graham, ne pas se faire remonter les bretelles par sa sœur, ne pas donner l'image d'une mère infidèle et d'une femme trop facile. Quinn se demanda quelques instants quelles étaient les motivations profondes de Sonnie, pourquoi justement n'avait-il pas pris le volant de la voiture pour la déposer à l'hôpital et ne faire de cela qu'un mauvais souvenir? Elle comprit assez rapidement, le connaissant malgré tout assez pour savoir de quelle façon il avait été éduqué. L'avortement lui donnait la nausée, et c'était compréhensible, mais...

«Merde c'est pas ton ventre qui va gonfler pendant neuf mois et de donner des crampes dans tout le corps chaque nuit! Sonnie! »

Elle avait haussé le ton, et quelques regards perturbés se penchèrent d'un rayon, s'ajoutant à celui de Sonnie, de quoi faire comprendre à la jeune femme qu'elle devait parler moins fort, et se calmer

» SONNIE WHITE TEETHS • scratching his nose.