• SHAUN • all the beauty of a god's mistake

« Oui ! Oui !!! Je m'appelle Shaun Bost..Bostwick ! Haha, c'est mon nom ! Je .. j'ai ... attendez .. » Shaun se mit à compter sur ses doigts en rigolant chaque fois qu'il sautait un chiffre ou parfois deux. Il recommençait, inlassable. « 21 ANS ! Ça fait 21 ans que j'ai les yeux ouverts ! Enfin non je les ferme la nuit .. Ça veut dire que je divise par deux ? » Le psychologue esquissa un sourire, ému et triste, puis prit en note les informations que Shaun venait de lui offrir. Il l'incita ensuite à continuer à parler de lui. Le jeune homme marqua une pause hésitante, ne sachant pas trop quoi dire. Disons qu'il n'avait pas une vie très remplie, il n'était pas un futur avocat et n'allait pas avoir un brillant futur. Sa mère ne cessait de lui répéter qu'il était une plaie pour la société, alors devant ce psychologue, il ne savait pas trop quoi en penser. « Je vis chez maman et papa. Ils disent que je suis pas capable d'aller ailleurs. Je vais à l'école. Madame Williams est ma professeur. Elle est gentille et jolie. Elle me donne la permission de manger des friandises en classe. » Le psychologue hochait la tête sans dire un mot. Shaun le dévisageait du regard, se demandant pourquoi il était aussi froid à son égard. Pourquoi il lui posait tant de questions sans y porter plus d'attention ? Depuis le début de la rencontre, le professeur Carlson écrivait sur une tablette de papiers sans regarder Shaun. Ou juste de temps en temps. « Je .. je travaille aussi chez Sundays. Je fais le ménage après que les clients soient partis. » Ayant toutes les informations requises, le professeur l'arrêta tout de suite sur sa lancée et alla droit au but. Enfin.

Heureux d'entrer dans un sujet plus intéressant, Shaun se mit à taper dans ses mains en riant. Le psychologue le ramena gentiment à l'ordre, le priant de répondre à la question. Le jeune homme se rassit confortablement sur la chaise, les jambes repliées sous lui, et continua. « Je l'ai brandi haut dans les airs en riant. J'ai été voir madame Williams pour qu'elle me lise l'histoire. C'était très beau. Une femme écrivait à l'amour. Ou à un garçon qui représente l'amour pour elle. J'ai pleuré, même si j'ai pas tout compris. » Le psychologue hocha la tête, écrivant plus vite et plus longtemps. Shaun n'avait aucune idée de ce qui se cachait sur cette feuille blanche barbouillée de crayon gris. Monsieur Carlson lui demanda ensuite si son comportement avait changé depuis cette lettre. Le regard de Shaun se perdit de l'autre côté de la fenêtre. Le psychologue prononçait tranquillement son nom, se faisant de plus en plus pressé. « Moi non. Mais tout le monde m'accepte, maintenant. Ça me rend content. Avant, moi j'aimais tout le monde mais personne s'approchait de moi. Aujourd'hui, une jolie fille est venue discuter avec moi. » Cette innocence traduisait pourtant une évidence; les lettres avaient vraiment changé quelque chose. Le psychologue lui sourit, enfin d'une façon sincère, et continua son interrogatoire angoissant.

Shaun ne comprenait pas tout à fait où le psychologue voulait en venir. C'est pourquoi il se mit à rire en gigotant sur sa chaise. D'un air niais, il continua avec un sourire incompréhensible. « Shaun aime les blagues ! Oui j'aime beaucoup les blagues ! J'aime aussi les parades, c'est amusant, j'aimerais faire des parades de Noël ! » Au lieu de mascarade, vous comprendrez qu'il avait saisi "parade". Et puis, la question du professeur Carlson était légèrement trop poussée pour une jeune homme souffrant d'une déficience intellectuelle. Shaun ne pouvait pas aller plus loin que les questions bien basiques et précises. Là, il avait cherché à comprendre quelque chose d'une façon détournée, et le jeune homme ne pouvait pas l'avoir compris ainsi. C'est pourquoi le professeur lui demanda plutôt de se décrire lui-même. Ainsi, il pourrait peut-être déceler dans sa personnalité un motif qui pourrait l'avoir incité à poser tel geste, bien qu'il doute vraiment que Shaun ait pu d'abord écrire ces lettres, mais avant tout d'avoir pensé à un concept dans le genre. « Je n'ai pas peur du ridicule, j'aime bien faire rire les gens ! J'aime sourire, parce que la vie est belle alors pourquoi pleurer. J'aime aller à l'école parce que ma professeur est gentille et jolie et son parfum sent bon et elle me laisse dessiner sur le tableau. J'aime me coucher dans l'herbe et regarder les nuages se déplacer. Ils sont fait de glace à la vanille et je rêve souvent que je les mange. J'aime aussi quand c'est mon anniversaire parce que beaucoup de gens viennent et j'ai des cadeaux comme à Noël. C'est parce que je suis spécial et les gens veulent souligner le jour de ma naissance. J'aime la simplicité, c'est plus amusant comme ça plutôt que de se prendre la tête avec un rien. Je.. j'ai .. je peux avoir quelque chose à boire, monsieur ? » Shaun n'avait jamais été capable de garder son attention sur la même chose plus de deux minutes. Il pensait à trop de choses en même temps. Le psychologue hocha la tête en murmurant un bien sûr presque inaudible et se leva pour revenir un peu plus tard avec un verre d'eau qu'il tendit à Shaun.

À cette question, Shaun changea complètement d'attitude. Il sentit son coeur battre la chamade dans sa poitrine, et d'ailleurs le fait qu'il mette sa main sur son torse pouvait le faire comprendre à son psychologue. Il avala difficilement et son regard semblait se perdre dans la pièce, comme si son cerveau cherchait un échappatoire. Tout lui revenait en tête. Sa mémoire n'avait jamais été très efficace, mais pour ça, il ne pouvait l'oublier. Il avait essayé de rayer ces événements de sa mémoire, mais c'était impossible. Le jeune homme, après quelques minutes d'absence, commença à parler, les yeux remplis d'eau salée. « J'avais rien fait de mal .. je le jure .. ne me faites pas de mal pour ça .. je .. je ne savais pas. On m'a dit que c'était pas ma faute, après, on me l'a dit et assuré ! » Alors qu'il commençait légèrement à perdre la tête, monsieur Carlson le calma, lui promettant qu'on ne lui ferait rien, et lui demanda de s'expliquer. Peut-être avait-il enfin trouvé quelque chose d'intéressant en Shaun. « La dame avait un ventre rond .. je trouvais ça drôle, j'ai beaucoup rit en la regardant .. puis un garçon plus vieux est venu me voir avec une bande d'amis et ils m'ont demandé en riant de jouer avec eux au ballon. J'ai oublié la dame et j'ai commencé à jouer. Je croyais que tout le monde participait. Alors j'ai lancé le ballon à la dame, mais elle ne l'a pas attrapé. Il est tombé sur son ventre rond. Elle s'est mise à hurler, elle avait mal, et j'ai commencé à pleurer parce que j'avais mal aussi de la voir avoir mal. Les garçons se sont mis à me crier après, ils étaient fâchés et choqués, ils m'ont poussé en me traitant de tous les noms. Ils m'ont frappés parce que .. parce que .. ils disent que j'ai tué quelqu'un, ils disent que j'ai tué un petit bébé, mais j'ai pas fait ça monsieur, je comprend pas ce que j'ai fait de mal .. je ne faisais que jouer .. » Dit-il en essuyant sans cesse les larmes qui coulaient sur ses joues.

« Marylou, j'ai jamais été capable de prononcer son nom de famille. Ça sonne comme O'Dowd. » Shaun éclata de rire, car il savait qu'il ne le disait pas comme Marylou le disait, mais il avait beau essayer, il n'y arrivait pas. Carlson lui en demanda un peu plus sur cette jeune femme. « Elle travaille chez Sundays avec moi. Elle est payée mieux que moi parce que Marylou est belle et intelligente et spéciale et gentille alors on la voulait comme serveuse. Pas comme moi qui n'est pas assez doué pour prendre les commandes, même si c'est mon rêve, je ferais tout de travers. Marylou elle, elle le fait à merveille. Je la regarde souvent faire, et parfois, le soir, avant la fermeture, elle me laisse utiliser la machine à café. Mais elle m'a dit de ne pas le dire au propriétaire sinon elle allait se faire gronder. Marylou ne mérite pas de se faire gronder parce qu'elle est la plus gentille du monde. Elle est vraiment différente des autres. Avec elle j'ai pas l'impression qu'on rit de moi mais plutôt qu'on rit avec moi, et ça monsieur ça fait toute la différence. Marylou elle est tellement gentille qu'elle vient parfois me rendre visite chez papa et maman et elle me ramène des pâtisseries qu'elle a cuisiné pour moi. Je l'aime vraiment beaucoup. Marylou parfois parle avec des garçons, elle est très appréciée des garçons, mais elle ne leur parle pas comme elle me parle à moi. Un soir je suis allé chez Marylou pour lui faire une surprise et il y avait un garçon derrière elle, puis elle avait pas l'air dans son assiette et elle m'a dit de partir. Elle n'avait pas l'air contente de me voir-là. Je me suis promis de ne plus jamais venir sans prévenir, parce que parfois Marylou avait besoin de ses moments avec d'autres personnes. Elle m'a dit le lendemain que ce n'était pas ma faute. J'ai compris que c'était vrai, ce n'était pas ma faute, c'était la faute de toutes les bouteilles qui traînaient dans son salon, je les avais vues. Mais c'est pas grave parce que Marylou reste toujours gentille quand même et je l'aimerai peu importe ce qu'elle fait. Elle représente ce que j'aimerais être plus tard. Elle est le meilleur modèle qu'on puisse suivre. Vous devriez la rencontrer, monsieur. » Ce fut probablement la réponse la plus longue et complète que Shaun donna au cours de cet entretien, et cela inquiéta le docteur Carlson. Il semblait être très attaché à cette Marylou, et peut-être en souffrirait-il. Mais ce problème n'était pas à l'ordre du jour, alors il remercia Shaun en lui serrant la main, lui annoncant que l'entretien était terminé.